À Bordeaux, les associations comme dernier rempart à la précarité étudiante

Depuis la rentrée, l’inflation aggrave la précarité. Sur le campus bordelais, les associations qui viennent en aide aux étudiants sont de plus en plus sollicitées et critiquent le manque de moyens déployés par l’État. 

Quand est-ce que vous allez ouvrir ? C’est vraiment un besoin”. A la rentrée universitaire, les étudiantes et les étudiants bordelais étaient nombreux à presser les associations à rouvrir leurs portes pour qu’elles leur viennent en aide. L’inflation a revu à la hausse le nombre de jeunes en situation de précarité qui se tournent vers des associations pour remplir leurs placards. Parmi elles, Le Comptoir d’Aliénor, épicerie solidaire qui propose des produits à moindre prix et Linkee, association qui distribue des denrées gratuitement;  deux types d’initiatives non-étatiques qui permettent aux étudiants en situation de précarité de s’alimenter convenablement.

Les rayons de l'épicerie solidaire Le Comptoir d'Aliénor. Sur les étagères, du café du thé, des produits d'hygiène et des serviettes hygiéniques. Crédit : BDM
Les rayons de l’épicerie solidaire Le Comptoir d’Aliénor. Sur les étagères, du café du thé, des produits d’hygiène et des serviettes hygiéniques. Crédit : BDM

Fréquentation en hausse

Depuis leur réouverture au mois de septembre, les associations qui viennent en aide aux jeunes Bordelais ont vu leurs files d’attente grossir. Mardi 8 novembre, ils étaient environ 500 à faire la queue cours d’Alsace-et-Lorraine pour récupérer des paniers alimentaires auprès de l’association Linkee, qui organise deux distributions par semaine. Une fréquentation en hausse de 65% environ sur les deux derniers mois, indique Linkee au Bureau des Médias. 

Du côté du Comptoir d’Aliénor, le constat est le même. “Notre objectif, c’est de fermer l’épicerie, car on n’aurait plus personne. Or aujourd’hui, on commence à réfléchir à en ouvrir une deuxième”, regrette Hugo Lopes, président de la Fédération  ATENA (Association Territoriale des EtudiaNts Aquitains) à laquelle est rattachée l’épicerie. Ouvert quatre après-midi par semaine, le Comptoir d’Aliénor s’adresse à celles et ceux dont le reste à vivre quotidien est compris entre 1,20 et 7 euros. 

L’inflation intensifie la précarité étudiante

En octobre 2022, l’inflation sur un an était estimée à 6,2% par l’INSEE (Institut national des études statistiques). Une hausse deux fois plus importante cependant pour les prix de l’alimentation. Cette augmentation du coût de la vie pèse fortement dans les budgets étudiants. Pour venir en aide aux plus précaires, le Comptoir d’Aliénor propose des produits en moyenne 90% moins chers que dans les grandes surfaces. Les bénéficiaires ressortent de l’épicerie “en ayant dépensé en moyenne 3 euros contre une trentaine d’euros en magasin” explique au Bureau des Médias Cécile Moinot, vice-présidente d’ATENA et gérante de l’épicerie située à Talence. Des prix bas, dont il ne faut toutefois pas sous-estimer l’importance symbolique. “Quand c’est gratuit, les étudiants vont moins oser aller vers ce qui est mis en place pour les aider. Le fait de payer aide vraiment à les déculpabiliser, ils se sentent moins stigmatisés”, indique Cécile Moinot.

Hugo Lopes et Cécile Moinot, président et vice-présidente de la fédération ATENA (Association Territoriale des Etudiants Aquitains).
Crédit : BDM
Hugo Lopes et Cécile Moinot, président et vice-présidente de la fédération ATENA (Association Territoriale des Etudiants Aquitains).
Crédit : BDM

Des profils de plus en plus divers 

Aux abords de la vaste file d’attente, vous entendrez parler espagnol, arabe, anglais, allemand, italien, … Les étudiants étrangers ont aussi du mal à joindre les deux bouts, d’autant plus qu’ils bénéficient souvent de moins d’aides de la part de l’État français, ou réussissent difficilement à aller au bout des longues et difficiles procédures pour les obtenir. “S’y retrouver dans la jungle administrative en France, c’est compliqué”, souligne Hugo Lopes.

Les bénéficiaires proviennent également d’horizons sociaux de plus en plus variés. Les associations indiquent qu’elles ont vu cette année des élèves d’écoles privées comme l’école de commerce Kedge (Talence) demander de l’aide, ce qui n’arrivait pas, ou très peu auparavant. Selon une étude menée par Linkee auprès de ses bénéficiaires, un jeune sur cinq qui recourt aux paniers alimentaires est inscrit dans une grande école.

“On existe car il y a un problème”

On existe, car il y a un problème” déplore ainsi le président d’ATENA. Face à l’accroissement de cette précarité, ATENA et la Fédération des Associations Générales Etudiantes (FAGE) réclament une réforme des bourses d’État, sur la base d’une linéarisation des critères sociaux. Il s’agit en effet de supprimer les effets de seuil de ces bourses, à l’origine de différences d’aides entre des personnes dont la situation et le contexte socio-économique sont pourtant proches. Ces associations demandent aussi leur indexation sur l’inflation “pour que les étudiants puissent vivre décemment”.

À la rentrée 2022, le gouvernement a augmenté les bourses de 4% pour compenser les effets négatifs de l’inflation. Dans les faits, cela représente un gain de 4 € à 22€ par mois par étudiant boursier. La mesure est accompagnée d’un maintien du repas à un euro pour les boursiers dans les restaurants universitaires et de la mise en place d’un dispositif d’aide exceptionnelle de 100 euros. Le 22 novembre, le gouvernement a annoncé le déblocage de dix millions d’euros, destinés aux associations qui apportent une aide alimentaire aux élèves de l’enseignement secondaire. Auprès de Libération, le porte-parole de la Fédération des Associations Générales Etudiantes (Fage) Felix Sosso regrette toutefois «une manie de la part de ce gouvernement, qui pense résoudre un problème structurel à coups de mesures palliatives».

Isaure Dimanov et Margot Ravereau

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *